Le pianiste René Bottlang, virtuose dans l’art d’errer sans jamais s’égarer, explore des territoires musicaux avec une clairvoyante curiosité, son jeu mélodique et délicieusement harmonieux ne procédant pas du mécanisme de la rupture mais d’un flux naturel, que l’on pourrait comparer à celui d’un fleuve. Comme il le dit lui-même : « Un morceau réussi, c’est comme une bonne chanson: il raconte une histoire. »
Le piano solo tient une place importante dans la riche discographie de Bottlang, lequel, après avoir flirté un temps avec le chant et la guitare, revient en force vers le piano pour notre plus grand bonheur (l’album Facing you de Keith Jarrett n’y est d’ailleurs pas pour rien). Et comme il se passionne pour le jazz, Bottlang n’hésite pas à placer en tête de liste de ses expériences musicales les plus marquantes deux duos qu’il a formé jadis avec des icônes du jazz d’outre-Atlantique: le pianiste Mal Waldron et le contrebassiste Charlie Haden (duos immortalisés sur CD).
Au début des années 1980, Bottlang propulse sa carrière avec deux albums solo: In front (1980) suivi de At the movies (1983) sortis chez le prestigieux label français OWL, avec des notes de pochette (crédits à ?) Paul Bley et Martial Solal, deux pianistes aussi renommés que musicalement dissemblables. En 2003 paraît Solongo, le dernier album solo de Bottlang (intitulé d’après le nom de son épouse, rencontrée lors d'un séjour de deux ans en Mongolie et avec laquelle il vit aujourd’hui dans le sud de la France).
Aujourd’hui – suivant de près Biographies, un album qui foisonne en improvisations fertiles sur des compositions de son ami peintre et saxophoniste Ralf Altrieth – c’est un album enregistré à Buenos Aires en 2015 que nous propose Bottlang. Il explique: « J’avais prévu de voyager un mois à travers l’Argentine jusqu’à la pointe de la Patagonie, mais je n’aime pas être un touriste. Alors je me suis imposé une séance d’enregistrement dans la capitale argentine dès mon arrivée, puis une autre avant de repartir. Ainsi mon voyage devenais artistique et j’emportais bien sûr mon saxophone soprano et mon ukulélé.
Dans ces quinze morceaux à la beauté sobre et sans prétention, il ne faut pas chercher de référence directe à la musique argentine. Bottlang n’a pas voyagé en ethnomusicologue à travers le pays, il s’est laissé imprégner par les ambiances, les visages, les paysages, la cuisine et les sonorités pour les laisser doucement s’instiller dans sa musique. Sept de ces morceaux sont des impromptus non retouchés, ce que – étant donné leur étonnant équilibre – on a peine à croire. Des huit compositions restantes, deux ne sont pas de Bottlang : Blowin’ in the wind de Bob Dylan, une des chansons préférées du pianiste, ainsi que Nostalgia in Times Square de Charles Mingus se sont imposés d’une manière aussi miraculeuse qu’inattendue au sein d’une improvisation libre. Tom Gsteiger